Bonjour, les enfants.
Dans le silence de ma chambre, je vous ai imaginé le troisième volet des confidences de Seznec.
Bonne lecture et n'oubliez pas, c'est de la fiction.
Arrivé très en retard, à cause des crevaisons, j'ai retrouvé Quéméneur à Rennes, dans l'hôtel, avec des potes en train de prendre un apéro. Je crois qu'il y avait là Roussel, mais c'est qu'un souvenir. On s'est mis dans un coin et on a compté les dollars. 2020, qu'il y en avait. C'était pas mal, quand même. Quéméneur, il était contant et il téléphone aussitôt au type de Paris qui lui a dit aussi de faire refaire le chèque de Pouliquen, une combine pour qu'il puisse toucher le liquide plus facilement. Après, Quéméneur, il me signe , en double , la promesse de vente de Traou Nez. On est allé à la poste envoyer un télégramme. Puis, on a traîné à boire des verres dans un cabaret plutôt sinistre et on s'est couché.
Le lendemain, ç'a été un calvaire, comme on dit.
Des pannes et encore des pannes. Des crevaisons et encore des crevaisons. . Oui, je sais,-que je lui ai dit-, c'est ma voiture et j'ai pas fait attention pour qu'elle soit capable de rouler jusqu'à Paris. J'avais déjà dans la tête qu'elle n'était plus à moi, la bagnole, Je l'avais gagée, auprès de Quéméneur. Et puis, on allait la vendre . Faire des frais dessus ? En plus, qu'elle avait jamais bien marché. Pourquoi son cousin Jestin m'avait dit qu'elle irait bien jusqu'à Paris. C'était de sa faute à lui...
Le soir, on était à Dreux ou Houdan, j'ai jamais su, quand Quéméneur, il me réveille. C'était lui qui conduisait. Il me dit de voir pour continuer. Lui, il prend le train , pour être sûr d'être à son rendez-vous. Il faut surtout pas le louper. Et puis c'est le dernier train. Non . Continue -Qu'il me dit.- Ou fais demi-tour. Et tu fais réparer la bagnole, par ton type, à Morlaix. De toute façon, je reviens Dimanche en Bretagne, juste un aller et retour. On verra après. Il faut surtout que je donne les 100 000 francs, tu comprends, il faut arrêter le marché. C'est le plus important.
La suite ?
La nuit dans la voiture, le froid, la fatigue.
Et la crainte que ça ne marche pas.
Ben oui, quoi . Et si, Quéméneur, il ratait le rendez-vous. Et si l'affaire ne se faisait pas ? Et si, et si et si et encore des si ! Et mes dollars dans tout ça. Je les reverrai ? J'avais peut-être été trop confiant, trop crétin, trop con . Non, allez, j'avais la garantie de Traou Nez. C'était pas perdu, loin de là...
Tout ça, ça a tourné das ma tête pendant tout le retour.
Et je ne pouvais pas le joindre, non, aucun moyen de le retrouver pas plus que lui, il aurait pas su ou me m'appeler.
Finalement, je me suis pressé, mais tu parles, avec cette bagnole, se presser.... Mais bon voilà, les réparations, ça a assez bien tenu. Et même les pneus. Au Ponthou, à la fin, j'ai roulé sur les gentes, j'en avais tellement marre.
J'arrive à Morlaix, le dimanche , en fin d'après midi.
C'est pas la peine que je vous fasse ça dans les sentiments.
Ni même dans le détail.
Faire simple, ça passera mieux. Parce que je l'ai encore en travers de la gorge. Un boule qui se coince, là. Et une énorme.
Bon.
Dans la maison, comme le tic-tac d'une horloge, un hoquet régulier. Sur une chaise, Marie Jeanne, immobile, semble incapable de voir, d'entendre. Elle est en chemise de nuit, les cheveux défaits et fixe un infini qui ne me concerne pas. J'ai essayé d'attirer son regard, mais elle ne m'a pas vu . Ses mains se tordaient l'une sur l'autre. Angèle est entrée dans la pièce et elle m'a tout raconté. Quéméneur qui arrive le matin, ses plaisanteries et puis les mots timides et enfin ce hurlement de Marie Jeanne. Elle m'a emmené dans la salle où le corps était étendu dans la raideur d'une mort glacée . Un maigre filet de sang figé sillonnait le front. Les yeux, toujours ouverts, vitreux, s'attachaient à l'espace devant lui, les pieds de la table, les pieds des chaises et le bas d'un mur.
J'ai eu l'impression brutale de partager avec lui un froid immense, puis, peu à peu, au contraire, la fièvre m'a pris et, dans ma tête, la course folle de mes idées, de tout ce qui allait suivre. Angèle me répétait -mais c'est un accident-elle ne l'a pas fait exprès- et puis, lui, avec ses mains-...Tout ça , ça m'a fait horriblement mal. Je voyais déjà la prison pour Marie Jeanne, la ruine pour nous, la misère pour les enfants, la honte....
Comme Angèle disait que personne ne l'avait vu entrer, ça elle en était sûre, j'ai eu un sursaut et comme un somnambule, j'ai traîné Pierre . Et l'ai fourré dans la chaudière de la machinerie. Et j'ai bourré le foyer avec des bûches et j'y ai foutu le feu. Toute le nuit, j'ai ajouté des bûches, et encore des bûches pour alimenter ce putain de feu.
Angèle avait raccompagné le gamin au collège et réussi à coucher Marie Jeanne dans son lit.
A un moment je suis allé cherché Kerné et on a discuté de ce qu'il fallait faire. Kerné, c'était un type très discret, très silencieux. On s' était toujours bien entendu.
Il m'a dit qu'il fallait faire croire qu'il était resté à Paris et même qu'il avait continué son voyage ailleurs. Ça se pourrait que tout le monde , il y croirait à ce voyage, c'était déjà arrivé que Quéméneur, il parte longtemps, et qu'on pourrait pousser à cette idée , après tout. Mais faudrait être prudent.
Quant aux dollars, on trouverait peut-être à Paris ce qu'ils étaient devenus.
En fouillant dans la valise de Quéméneur, on a trouvé des papiers mais rien qui nous disait quelque chose sur la vente des voitures. Sauf un reçu pour du liquide , en franc et en dollars. On verrait plus tard. Quand aux promesses de vente de Traou Nez, ça serait pas compliqué de les refaire, et surtout changer le chiffre de l’acompte.